samedi 20 décembre 2008

La boîte de biscuits

Il y a maintenant douze ans aujourd'hui, je débutais par la force des choses ma carrière d'illustrateur, le même jour où je quittais mon emploi à temps plein au magazine Safarir. En fait, cette journée-là, c'est la direction qui m'a plutôt fait quitté le magazine mais, dans mon esprit, je n'y étais plus depuis au moins deux ans. La routine, les orientations aléatoires et l'improvisation de la direction ont suscité cet état d'esprit. Le cœur n'y était plus. Je souhaitais probablement cette nouvelle orientation de carrière. Ce congédiement m'a permis de recevoir une subvention fédérale appelée «assurance-chômage» qui m'a permis de bâtir une clientèle.

J'occupais, selon la liste des crédits, le poste de directeur artistique. Titre un peu pompeux pour quelqu'un qui se tapait surtout la corvée du montage des soixante-quatre pages du magazine à tous les mois (Ah, ces fameux coupons d'abonnement en perpétuel changement jusqu'à la dernière minute !) et tout ça accompagné de l'illustration de diverses chroniques. Montage et illustration ne laissaient plus beaucoup de place pour la direction artistique.

Une boîte de douze biscuits : c'est ce qu'on m'a donné pour me remercier des six années à temps plein, des trois années précédentes en tant que collaborateur pigiste et surtout pour ma participation à la fondation du magazine en 1987 alors que j'étais des tout premiers collaborateurs se réunissant pour élaborer le concept et trouver un nom. Denis Goulet, André Gagnon et Mario Malouin et quelques autres faisaient aussi partie de l'équipage. Grâce à ces collaborateurs, le radeau est vite devenu un navire.

J'ai effectué un retour au magazine dans l'année suivant mon éviction en devenant pigiste pour illustrer certaines chroniques. Je cherchais toujours des contrats ici et là, donc Safarir pouvait devenir une autre source de travail. On pile sur notre orgueil et on fonce. D'une BD de 2 pages à ma première nouvelle collaboration, je suis vite passé à un dessin en noir et blanc puis à plus rien du tout en dedans d'un an. Je semblais avoir été tassé une deuxième fois, mais je n'ai jamais trop su pourquoi cette fois-ci.

Même après douze ans, le ressentiment est encore un peu présent, mais je suis heureux d'avoir vécu les meilleures années de ce magazine. Les meilleurs membres de l'équipage l'ont quitté au cours de ces douze dernières années. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'une coquille vide, pâle reflet de ce qu'il a déjà été et il a tout donné monétairement à son actionnaire principal. Incroyablement, le rafiot n'a pas encore sombré et flotte toujours.

6 commentaires:

Lamontagne a dit...

Je ne peux qu'être d'accord avec vos propos maître Morin. Le magazine est sous respirateur artificiel depuis un bon moment. Quand tirera t-on définitivement la "plug"? Le magazine ressemble à un fantôme sans âme qui hanterait les stand à journaux.

GAG (André Gagnon) a dit...

Chanceux, je n'ai même pas eu droit a une boîte de biscuits!!!

Vraisemblablement, avec les sous économisés par mon congédiement, il a pu t'offrir ton cadeau de départ...

... j'espère que tu l'as empaillée, ça fait un beau souvenir!!!

;^)

Jean Morin a dit...

On pourrait fonder un club des ex de ce magazine et il y aurait pas mal de monde!

Marc PAGEAU a dit...

Tiens donc !!!

Je n'ai jamais rien compris à la façon dont l'éditeur menait sa barque...

Moi, je suis toujours parti de mon plein gré, je ne m'y suis malheureusement jamais senti à l'aise.

JDufour a dit...

Wo, ça bashe ici... Puis-je me permettre de modérer quelque peu vos propos?

Saf n'a jamais été et ne sera jamais ce que nous, disons la plupart des collaborateurs, auraient voulu qu'il soit. C'est une vieille frustration, maintes fois répétée par un paquet de monde d'ailleurs, on la connait par coeur.

Ce n'est pas un mag d'art, de dessin ou de bédé, c'est un mag d'humour de culture pop, ni plus ni moins. La direction a toujours très mal réagit aux artistes qui voulaient changer cette orientation là en s'imaginant trop grand. Ça se comprend, même si nous avons tous trop d'exemples qui prouvent que ça ne s'est pas très souvent fait de façon irréprochable.

Mais quand on le prend pour ce que c'est, Saf a deux très grandes qualités qui le rendent indispensable, selon moi.

Tout d'abord, ça dépanne des pigistes dans des périodes creuses, et on sait tous ce que ça représente, un client régulier vers lequel revenir en cas de besoin. Que trop bien, en fait.

Deuxièmement, ça starte des jeunes. Ça aussi c'est inestimable. La situation d'aujourd'hui n'est plus la même que celle des années 90. L'imprimé se fait rare, et les jeunes qui dessinent se trouvent des boulots en jeu vidéo pour des intérêts étrangers. Fine, mais l'experience de graphisme, de production et de dessin en général que procure Saf lorsqu'on y débute est de plus en plus difficile à trouver, et pourtant Saf peut toujours la servir à de nouveaux collaborateurs. Dans un contexte, de plus, qui dans une certaine mesure permet des erreurs et des essais de toutes sortes.

C'est vrai que la période à laquelle, Jean, tu as bossé pour Saf a été grandiose. C'est vrai aussi que le Saf d'aujourd'hui n'est pas comparable à ça. Par contre, ça laisse la porte grande ouverte à faire du bon matos, et Saf n'en a jamais autant eu besoin. Il ne faudrait pas oublier que d'abord et avant tout, ce qui a toujours fait la qualité ou la non-qualité de Saf, c'est ses collaborateurs. Quand de bons auteurs y publient du stuff, Saf est très cool à lire, et quand c'est pas le cas, ben c'est des photos prises sur le net qui remplissent les pages. C'est pas 100% la faute à la ligne éditoriale, tout ça. Ça marche au bon-vouloir de ceux qui font du boulot pour Saf. C'est nos réussites ou nos échecs, notre motivation ou notre complaisance, qui font les forces et les faiblesses de Saf, pas le contraire.

Personnellement, ça fait maintenant près de 8-9 ans que j'en fait, avec quelques interruptions au travers. J'en refais ces temps ci, et sincèrement, c'est dans mes plus belles jobs pour eux. Le scénario reste du Saf standard, mais c'est pas ça ma motivation. Je fais ça primo pour remplir des creux entre d'autres jobs, deuxièmement pour faire tripper de flos qui découpent des jokes épaisses pour les coller dans leurs agendas, et par volonté de constance de production de pages. Et pour tout ça, ça remplit tout à fait mes attentes.

Ça reste une cool opportunité sur bien des points Saf, bonne franquette, easy, instantané et sans prétention. Je crois qu'on doit tous avoir malgré les passes plates et les ratées une certaine reconnaissance pour Saf.

Ça s'applique à tous les 5 ici. tout le monde ici en a profité et en a tiré du bon, et d'ailleurs, tous de façon différente. C'est bien la preuve que ça a sa valeur.

En tous cas, moi j'aime bien l'occasion que ça m'offre de faire des jobs vite et bien. La direction éditoriale, les scripts, et tout ça, c'est pas ma job. Rien dans tout ça n'empêche de faire de belles pages, anyway.

Pas d'accord?

Jean Morin a dit...

Ben coudonc, je ne m'attendais pas à un commentaire aussi consistant. En voyant la longueur, je pensais lire une série de bêtises, mais non! Je dois dire que je suis assez d'accord avec toi.
J'ai écrit "La boîte de biscuits" pour "fêter" l'anniversaire de mon éviction après avoir feuilleter le numéro disponible à ce moment. Ce que j'y ai vu ne m'a pas trop impressionné. Je l'ai trouvé terne et fade visuellement. Je ne crois pas que ce soit un numéro dans lequel tu avais publié. Je dois dire que, d'après moi, tu représentes bien ce que devrait être le style Safarir.
Je n'ai pas de problème avec le médium en tant que tel. Comme tu le dis, c'est une bonne école mais, pour moi, ce magazine sera intimement relié à l'actionnaire principal. Quand je le vois en kiosque, je pense au boss.
Aux tous débuts, on nous promettait des revenus en fonction des ventes, mais cette idée a vite été éclipsée lorsque les ventes ont augmenté et que le boss a vu qu'il pouvait faire pas mal de piasses personnellement en s'incorporant. Je pense à ces interminables confrontations d'actionnaires entre lui et la star de la radio et à ces incessantes remises en question d'un numéro à l'autre à propos de l'orientation. Le groupe d"âge du lecteur ciblé qui change constamment.
Ces mêmes actionnaires qui se sont réjouis de la fermeture de Croc, mais que je ne trouvais pas si drôle que ça. Safarir devenait l'unique magazine d'humour québécois.
Alors que tous les lecteurs pensaient qu'on se bidonnaient toute la journée, je peux dire que c'était à des années-lumières de la réalité. Heureusement, ça ne paraissait pas trop dans le produit final.
Tout n'était qu'argent. Oui, en tant qu'excellent gestionnaire, il y pensait, mais au détriment de son magazine. Aucune promotion, publicité, rien. Comment veux-tu te faire connaître quand tu ne t'affiches pas? Une bonne idée disparaissait parce que ça pouvait coûter de l'argent. Ça me rappelle un truc, un classique de commentaire du boss. À un collaborateur qui trouvait sa paie un peu mince pour le travail à faire s'est fait répondre : "Mets moins de traits et de lignes dans ton dessin."
On se rappelle aussi la fuite de la moitié des collaborateurs partis fonder l'éphémère Kamikaz, mais qui n'était qu'une copie de Safarir. Comme quoi le concept est bon.
S'il n'y était plus comme actionnaire, probablement que j'irais frapper à nouveau à la porte de ce magazine. Encore là, mon style de dessin ne correspondrait peut-être plus à ce qu'on recherche.
Je ne faisais plus l'affaire en tant que supposé D.A. du magazine, mais tout ça m'a permis de mûrir professionnellement. En regardant mes premiers essais dans ce magazine, on voit que c'était pas terrible. Mon départ a été une bonne chose car je suis heureux maintenant comme pigiste.
Ça fait pas mal le tour.